100 ans
avant, 100 ans après
"Le monde était si récent que beaucoup de choses
n'avaient pas encore de nom et pour les mentionner, il fallait les montrer du
doigt."
Gabriel
García Márquez
Cent ans de solitude
Cent ans de solitude
Nous sommes dans l’obligation d’admettre qu’il
est désormais trop tard pour sauvegarder maintes choses. Nous avons perdu cette
grande occasion... Savoir vivre et produire ensemble fut disparu avec les
premiers migrants. Ceux qui sont partis en premier ont aussi emmené leur
conscience avec eux. Pourtant, il fallait dès le départe mesurer l’importance
de la situation.
100 ans plus tard, les “guerres de mémoire”
sont désormais sujettes à toute sorte de manipulation. Mais également, la
mémoire est une des conditions sine qua non de notre retour à nos innocences.
Ignorée par ceux qui n’ont que les trophées de guerre comme actualité, seule
preuve des conquêtes morales. Beaucoup plus que des pierres, des murs, des
terres. C’est toujours une possible méthode de thérapie et de négociation : la
mémoire.
Partageant une même géographie, les Arméniens et les
Turcs étaient deux cultures anciennes qui produisirent et évoluèrent pendant
plus de mille ans dans un contexte d’échange continuel. La solitude centenaire
de ces deux cultures aboutit non seulement à une isolation démographique mais
aussi à une catastrophe culturelle innommable, irréparable. Ceux qui furent
condamnés aux cent ans de solitude n’eurent pas de deuxième chance sur la Terre.
Tels les membres perdus d’une famille éparpillée, les
Arméniens, et les Turcs se cherchèrent pendant tout le siècle dernier en
utilisant des itinéraires différents, et à chaque occasion ils parlèrent les
uns des autres.
Si j’avais vécu il y a 100 ans, j’aurais
probablement eu le même propos qu’aujourd’hui et que j’aurais porté l’affaire
au delà d’un règlement de compte politique. Mais alors qu’est-ce qui fait que,
juste 100 ans plus tard, je garde toujours le même propos?
Un siècle perdu.
Le génocide arménien; beaucoup plus qu’un mot, qu’un
calendrier, qu’une politique, qu’une négociation, qu’une terminologie, qu’une
stratégie, que des dommages et intérêts, il s’agit d’un traumatisme irréparable
de deux vieux peuples appartenant à une même civilisation. La question est
aussi psychologique que politique. Une thérapie sur ce “syndrome centenaire de
manque” est alors une nécessité. Tous les Arméniens et les Turcs ayant la
conscience du sujet ont le sentiment d’avoir cent ans aujourd’hui.
C’est pour cette raison que, dans le cadre de
l’exposition “100 ans avant 10 ans après” je ne m’intéresse ni à ce qui se
passa il y a cent ans ni à ce qui se passera dans cent ans, mais au combat
créateur que les générations vivant dans ce paradoxe mènent contre le temps.
Avec les histoires de ceux qui se vouent au siècle perdu, avec nos histoires.
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